Qu’est-ce que pourrait-être une organisation non hiérarchique de notre lycée ?
Partie 1 : La notion de hiérarchie, un sacré obstacle.
Durant la Grande Révolution, quand s’affirmaient les principes républicains naissants, et où le peuple veillait à ce qu’on ne les prostitue pas, une intense réflexion était menée quant à l’élection des officiers par les hommes du rang. Qu’est-ce que cela nous apprend sur la hiérarchie ?
L’armée, domaine où le principe hiérarchique semble le plus incontestable, a été investie par l’aspiration démocratique. Rappelons au passage que le stratège, dans l’Athènes classique, était élu. Essayons de voir dans quelle mesure la démocratie et la hiérarchie sont incompatibles.
Hiérarchie dérive de deux mots grecs : hiéros et archè. Archè signifie principe, fondement, origine, comme dans monarchie : un seul principe, un seul fondement du pouvoir. Hiéros signifie sacré. Or le sacré est ce qui sort de l’appréhension commune et quotidienne, c’est ce qui ne se discute pas, ce qui semble inaltérable, qui ne semble pas issu de l’activité de la société.
Pourquoi tient-on autant à ce mot de hiérarchie alors que l’on prétend que les différences de statut social sont définies et garanties par le pouvoir législatif des députés, donc par la « volonté » des électeurs ? C’est sans doute parce qu’il faut que nous gardions en tête que ces différences sont peut-être modulables à la marge, mais aucunement attaquables dans leur principe. Et les députés, s’ils sont élus, n’en respectent pas moins le caractère sacré de la hiérarchie, la défendant comme tel. Il faut conserver le caractère indiscutable et impensable de cette sacralité. En outre, derrière le mot sacralité résonne un principe ontologique et axiologique. Ontologique signifie que la hiérarchie est une donnée fondamentale de l’être en général, c’est une propriété de toutes organisations, cette graduation entre supérieurs et inférieurs serait dans la nature des choses. Il est aussi fou de vouloir la combattre que de vouloir combattre la loi de gravitation. Axiologique signifie relatif aux valeurs. La hiérarchie est aussi une échelle de valeur. Les individus ont d’autant plus de valeur qu’ils occupent une place élevée. Combattre la hiérarchie serait un scandale moral.
Revenons aux armées révolutionnaires. En voulant élire directement les officiers, c’est l’égalité qui se faisait jour. C’est à égalité que les soldats auraient tiré de leurs rangs ceux qu’ils estimaient les mieux placés pour coordonner les opérations. De portée plus générale est le dialogue entre un chirurgien célèbre invité à l’émission de radio Répliques, et un Alain Finkielkraut outré par ses propos. Le chirurgien affirmait qu’il fallait parfois un coordonnateur, un chef d’orchestre dans un bloc opératoire, mais que cette fonction pouvait être remplie par un infirmier.
Ceci illustre le fait que, ces fonctions spéciales n’impliquent pas de privilèges, de supériorité de salaire, etc. D’ailleurs, ces fonctions de responsabilité doivent être désirées par implication dans une ouvre collective à laquelle on a suffisamment participé, à égalité, pour la penser notre. Ainsi, on pourra les faire tourner. Et le poids de la responsabilité ne justifiera pas une rétribution financière ou un pouvoir lié à un statut définitif, sacré, hiérarchique.
Alors chez nous, nous pourrions tout à fait penser une organisation égalitaire qui élirait les fonctions de « direction » (ce qui se fait dans les lycées espagnols), qui définirait un plan de formation pour que chacun puisse occuper tour à tur ces positions. Un système où le proviseur n’aurait qu’une fonction exécutive, et où la souveraineté appartiendrait à ceux qui travaillent, c’est-à-dire à des assemblées d’enseignants, qui mandateraient le proviseur, et pourraient le révoquer à tout moment. Les fonctions de direction n’étant pas directement « techniques », on peut imaginer une formation généraliste. Preuve en est les énarques qui peuvent diriger tour à tour, et avec une compétence et une intelligence toutes relatives, le Ministère de la Santé, du Travail, du Budget, de l’Intérieur, etc. On peut penser également, que la nature des fonctions et leur extension soient définies par le collectif de travail. Ainsi nous en aurions fini avec l’organisation hiérarchique. Alors nous pourrions envisager une autonomie authentique, par laquelle nous pourrions décider ensemble d’essayer de nouvelles voies éducatives, d’expérimenter, plutôt que de reproduire à l’infini un modèle organisationnel et pédagogique dont nous n’avons même plus conscience.
Mais le réel est là. Nous ne fonctionnons pas ainsi et nous nous soumettons aux relations hiérarchiques comme s’il s’agissait d’une donnée naturelle. Comment dès lors travailler sans risque à la réalisation des conditions de possibilité d’une telle organisation ? C’est ce que nous proposerons plus précisément dans notre prochain texte consacré à la notion d’autorité.
Le Jeudi 24 Janvier
CNT Section Baudelaire